le cœur cousu
On a beaucoup parlé de Carole Martinez cet automne, avec son “Domaine des murmures”, finaliste du Goncourt et lauréate du Goncourt des lycéens. Mais son “cœur cousu”, son premier roman, qui date de 2007, est dans ma PAL depuis l’été dernier…
Je viens d’en achever la lecture, et j’en sors émerveillée.
C’est d’abord un roman écrit dans une très belle langue : chaque description est ciselée, les métaphores sont originales, imagées, le vocabulaire choisi avec soin, les phrases sont belles, musicales, comme cette description des mains d’Anita :
Et se mains, vous ai-je jamais parlé de ses mains ?
Les mains des conteuses sont des fleurs agitées par le souffle chaud du rêve, elles se balancent en haut de leurs longues tiges souples, fanent, se dressent, refleurissent dans le sable à la première averse, à la première larme, et projettent leurs ombres géantes dans des ciels plus sombres encore, si bien qu’ils paraissent s’éclairer, éventrés par ces mains, par ces fleurs, par ces mots.
L’univers, ensuite, dans lequel Carole Martinez nous entraîne est celui de la littérature hispanophone : celui de l’épopée, du voyage et de la quête, à la “Don Quichotte” ; l’univers aussi d’un Gabriel Garcia Marquez, d’une Isabel Allende, du film “cria cuervos” : la magie, l’inexplicable est présent, comme une composante naturelle de la vie, de la vie des femmes en particulier.
L’histoire racontée est celle de Frasquita, jeune femme pauvre du sud de l’Espagne, dans une époque qui n’est pas précisément définie, qui pourrait être n’importe laquelle, entre le Moyen-âge et la première guerre mondiale, en gros. Frasquita est “initiée” par sa mère à une sorte de magie blanche : elle apprend les prières qui “guérissent” les brûlures, les blessures, et même qui ressuscitent les morts. Elle reçoit aussi un don qui lui est propre : ce qu’elle coud ou qu’elle brode est sublimé, prend l’aspect du vivant.
Mariée, mère de 5 filles et d’un fils, elle est jouée et perdue par son mari. Commence alors pour elle et ses petits une “traversée”, un long chemin, sur lequel elle rencontrera bien des personnages pittoresques, un ogre, des révolutionnaires, pour échouer finalement dans un quartier espagnol à la lisière de la médina d’une ville algérienne. Je suis toujours un peu fascinée par les prénoms féminins espagnols : les Conception et autres Dolores… Imaginez-vous vous prénommer Douleur ! Parmi les filles de Frasquita, il y a Martirio, et Soledad, la narratrice. Quels prénoms sublimes, non ? (pour des personnages de roman, bien sûr…)
J’ai adoré ce récit, adoré ces personnages féminins, vraies incarnations du “féminin-sacré” qui m’ont rappelé des figures décrites par Clarissa Pinkola Estes dans Femmes qui courent avec les loups…
Et j’ai repensé à une vieille tante de ma famille maternelle, d’origine espagnole et née en Algérie, qui “enlevait le soleil” : elle avait le “don” de guérir les insolations, grâce à quelques prières et gestes ancestraux…
Pour terminer, quelques phrases du roman :
“Depuis le premier soir et le premier matin, depuis la Genèse et le début des livres, le masculin couche avec l’Histoire. Mais il est d’autres récits. Des récits souterrains transmis dans le secret des femmes, des contes enfouis dans l’oreille des filles, sucés avec le lait, des paroles bues aux lèvres des mères. Rien n’est plus fascinant que cette magie apprise avec le sang, apprise avec les règles.”