Je suis à peu près imperméable à la rentrée littéraire.
Il y a encore de cela quelques années, la rentrée littéraire provoquait toujours en moi une certaine angoisse : tous ces livres, absolument pas le temps de les lire tous avant la prochaine déferlante de nouveautés romanesques, la certitude que parmi tous ces ouvrages, tous ces auteurs, il s’en cachait un ou deux que j’aurais vraiment aimés, mais comment les trouver ? Comment les reconnaître ?
Je sais maintenant que les livres viennent à moi, selon un chemin et un calendrier connu d’eux seuls; mais que je n’ai pas à m’inquiéter. J’aurais toujours de quoi lire, j’aurais toujours du plaisir avec les livres, et tant pis si tel livre qui m’aurait émerveillée a échappé à mon attention. Peut-être qu’il atterrira sur mes étagères dans 3, 10 ou 20 ans. Ou jamais, et c’est pas grave.
[autant de sagesse et de philosophie doit pas mal vous impressionner, lecteurs. Ouais, je sais. Ça m’a pris du temps pour en arriver là, j’ai médité dans un ashram.]
Tout ça pour dire qu’en septembre comme le reste de l’année, il est plus que rare -exceptionnel- que je dépense 18 euros pour lire un livre, quand des milliers d’autres m’attendent sur les étagères du bouquiniste (ceux-là même qui, l’année dernière, l’année d’avant, ou il y a plus longtemps encore, étaient fièrement empilés sur les tables des libraires, avec leur bandeau rouge “premier roman”, “évènement de la rentrée littéraire”, ou “par l’auteur de XXXX”).
Ce préambule posé, il est évident que toute ma sagesse et ma foi dans la décroissance active et la simplicité volontaire pèsent parfois bien peu.
En général, je n’ai aucun mal à ignorer ceux qui sont partout dans les médias, ceux que les critiques nous recommandent, ceux qu’il “faut” avoir lu cette rentrée… (parce qu’en Mai déjà on aura oublié leur nom, le titre de leur roman et le reste).
En revanche il est certains noms qui, imprimés sur une couverture, ont et auront toujours un pouvoir hypnotique sur moi. Ainsi, quand j’ai vu dans les rayons de mon supermarché “L’homme-Joie” de Christian Bobin, j’ai oublié 1) que je n’achète plus de livres neufs 2) que je n’achète jamais de livres dans les grandes surfaces et 3) qu’avec l’augmentation du prix de la pomme de terre et (bientôt) de la bière, remplir mon chariot pour une somme raisonnable est une mission de moins en moins possible.
Achat impulsif, donc, d’autant plus que j’ignorais totalement la sortie d’un “nouveau” Bobin. Parce que Bobin ne cause pas dans le poste (du moins, pas chez Pascale Clarcke), qu’il n’a pas de plan médiatique, et que son roman est publié chez une maison d’édition plus que confidentielle, “l’iconoclaste“.
Et j’ai retrouvé le goût du Bobin de mon adolescence, de “La Femme à Venir”, de “la Plus Que Vive”…
On peut le trouver niais, on peut le trouver mièvre, naïf, ridicule peut-être avec ses bouquets de fleurs et ses sourires d’enfants…
Mais sa poésie me parle, quand il dresse le portrait de Glenn Gould, ou quand il écrit une lettre d’amour à la femme aimée et perdue (lettre imprimée sur des pages bleues, au milieu du livre, avec l’écriture manuscrite de Bobin).
“J’ai lu plus de livres qu’un alcoolique boit de bouteilles. Je ne peux m’éloigner d’eux plus d’un jour. Leurs lenteurs ont des manières de guérisseur. J’ai passé des étés dans leurs chapelles fraîches, taillées dans la falaise crayeuse d’un beau silence.”