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Après avoir pendant toute une année (scolaire : mes années sont toujours scolaires) frôlé au plus près la raffinerie de pétrole, empruntant matin et soir la ligne de train qui passe au milieu de cette grosse installation industrielle à l’odeur prégnante, signature olfactive perceptible plusieurs kilomètres à la ronde, cette année c’est le bus qui m’emmènera au travail, et la ligne passe le long du port et des chantiers.
C’est tout le patrimoine industriel de saint nazaire, son cœur historique (la ville n’a commencé à se développer qu’au XIXeme siècle, autour des paquebots transatlantiques) et symbolique. Tout une zone regroupant des habitations ouvrières (que les ouvriers ne doivent plus guère habiter aujourd’hui), zone dans laquelle le petit chemin de fer au beau milieu de la route nous rappelle que nous sommes sur le territoire des chantiers, que notre passage n’est que toléré, mais qu’ici ce sont les énormes grues, le portique monumental, qui règnent en maître.
On croise essentiellement des ouvriers en bleu de travail, casque à la main ou sur la tête, gilet réfléchissant sur le dos, images qui semblent sorties d’un Germinal moderne…
J’aime ça. Il y a dans ces lieux, ces bâtiments, ces engins qui n’ont été construits que dans un seul but, celui de l’efficacité, du pratique, de rentable, une beauté presque “malgré eux”.
Je me souviens dans mon adolescence, d’une jeune femme qui me reconduisait chez moi. Passant dans ces rues aux maisons des années 50, sans charme, au crépis marron, au petits jardinets à bordures de ciment, au milieu desquels j’ai grandi, elle s’extasiait : “oh, mais c’est beau, par ici !” Et devant mes protestations (à l’époque, je concevais qu’on puisse trouver “beau” une façade haussmanienne, pas une maison cubique et vieillotte), elle avait précise : “oui, c’est peut-être moche mais ça a du cachet. Le cachet du moche, peut-être”. Vingt ans plus tard c’est une expression à laquelle je repense souvent, “le cachet du moche”. Je ne sais pas si elle s’applique aux chantiers ni aux maisons ouvrières qui les bordent; mais c’est cette expression qui m’est venue par analogie, en passant dans ces petites rues dans lesquels ne marchent que des ouvriers en tenue de sécurité, dans lesquels les agences d’intérim alternent avec les cafés aux devantures défraîchies, certains en l’état depuis les années 60 et dont on imagine bien qu’ils pourraient servir de décor à un roman de Simenon.
La “vraie” vie pour des milliers de gens, un objet exotique que je scrute avec nostalgie pour moi… Univers parallèles.