Anne Sylvestre
Anne Sylvestre et moi, c’est une histoire récente. Je pourrais dire que je l’écoutais déjà petite, mais ce serait mentir. Les “fabulettes”, y’avait pas ça chez moi. Ma copine de maternelle en possédait un album, et j’ai dû l’écouter une fois ou l’autre chez elle, je me souviens de ces pochettes, blanches et roses.
Moi, j’écoutais plutôt les “livres-disques”, des histoires racontées, et il fallait tourner la page quand on entendait la petite clochette, “diling-diling”. Et côté musique, à part peut-être les “vieilles chansons françaises” chantées par “Dorothée et ses amis”, parmi lesquelles, souvenir impérissable, “Jean-François de Nantes”, qui me parlait d’un gars de chez moué, Jean-Fran-çoé… , j’écoutais les disques de mes parents, Tri-Yann, Brassens, Ferré, Yves Duteil et les danses hongroises de Brahms. (après ça, vous ne vous étonnerez plus de rien.)
Anne Sylvestre et les Fabulettes sont entrés chez moi à la naissance de Malo : on aimait bien la maison pleine de fenêtres et les mots magiques, mais bon, ça s’arrêtait là.
Bien sûr, j’entendais régulièrement sur France Inter (ai-je déjà mentionné que j’étais une auditrice de France Inter ? Oui, environ 497 fois ? ha, bon) des gens très bien qui disaient avoir beaucoup écouté Anne Sylvestre, mais pas ses chansons pour enfants, non, ses “chansons féministes”. Bon. Je me disais que ça devait faire bien, chez les bobos les auditeurs de France Inter, d’écouter Anne Sylvestre.
Mais moi, j’écoutais pas. Je ne connaissais pas.
Et puis trois chanteurs que j’aime énormément, à savoir Vincent Delerm, Albin de la Simone et Jeanne Cherhal, ont repris ensemble une chanson d’Anne Sylvestre sur l’album de reprise et de duos (et donc de trio, aussi) de Delerm.
“Les gens qui doutent”.
L’accompagnement était tout simple, juste quelques accords au piano.
Et la chanson disait des choses qui m’allaient droit au cœur, et même plus loin, des choses simples et douces et dures qui me donnaient à la fois les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres…
Elle disait, entre autre, “J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer; J’aime les gens qui passent, moitié dans leurs godasses et moitié à côté. J’aime leur petite chanson, même s’ils passent pour des cons…
J’aime les gens qui doutent
Et voudraient qu’on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu’on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps
Qu’on leur dise que l’âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie
Qu’on leur dise, on leur crie
“Merci d’avoir vécu
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu”.
Alors j’ai commencé à écouter cette “petite chanson“, dix fois par jour. D’abord par les trois interprètes de la jeune génération, puis, par curiosité, je suis allée voir du côté de celle qui l’avait créée. Et comme l’internet est quand même un outil formidable, j’ai pu découvrir, de clic en clic, des dizaines d’autres chansons. Toutes aussi belles, toutes avec ce même regard, tendre et goguenard à la fois, sur elle-même et sur toutes les femmes…
Je n’ai pas compris pourquoi on pouvait dire qu’elle était une chanteuse “féministe”. C’est une chanteuse qui chante “Frauenliebe und leben”, “la vie et l’amour d’une femme”, comme Schumann en son temps. Mais mieux que Schumann, parce qu’elle, elle sait de quoi elle parle.
Elle chante le corps, sa “carcasse“; comme toute femme, elle la trouve toujours un peu “trop”, mais nous fait rire au dépend des “minces” dans sa “plate prière“. Elle chante la sexualité, et tous ses aspects : tour à tour “femme du vent“, mère contre sa volonté dans “Rose“, femme violée à travers la métaphore de la “Douce Maison“; elle parle d’avortement dans “non, tu n’as pas de nom“; d’amitié et du “mal de vivre” dans “Thérèse” (et cette intro au cor anglais qui me fout la chair de poule avec sa sixte mineure ascendante…) ou d’amitié et de légèreté dans “famille pour famille“… Passe d’un sujet léger à un sujet grave, chante la condition féminine dans la “Faute à Ève” ou dans la “vaisselle” : “qui c’est qui fait la vaisselle, faut pas qu’ça se perde, qui c’est qui doit rester belle, les mains dans la merde ?”
Une femme qui parle de la vie des femmes, à la fois représentative de son époque, où la parole et le corps des femmes ont commencé à avoir le droit d’exister; et intemporelle, car elle me parle aussi bien aujourd’hui, dans une société où soi-disant je suis “libérée”…
Une mère, une amie, une alter-ego, une femme aux textes simples, aux mélodies légères, à la voix chaude et expressive…
Voilà, moi aussi j’appartiens au clan de ceux qui disent “Moi j’aime Anne Sylvestre, mais pas pour ses chansons pour enfants, plutôt pour ses chansons pour les adultes”. Je ne dis pas “féministes”. Je ne sais pas trop ce que c’est, le féminisme. Et les chansons d’Anne, elles vont bien au-delà d’une idéologie ou d’un combat politique. Elles sont “des” femmes, comme d’autres sont d’une région ou d’un pays. C’est d’ailleurs peut-être pour ça qu’Anne Sylvestre n’a pas connu un très grand succès médiatique, qu’elle ne bénéficie pas d’une reconnaissance unanime, comme Barabara par exemple : une femme qui chante des chansons qui parlent des femmes et des enfants, c’est forcément “mineur”, non ?