Je suis une tombe
La chanson du jour, c’est une chanson de Vincent Baguian que je n’avais pas écoutée depuis longtemps, “je suis une tombe”.
Vincent Baguian, (oui, j’adore les chanteurs qui se prénomment Vincent) c’est un chanteur que j’ai découvert (tout comme l’autre Vincent) sur les ondes de France Inter. Oui, j’y peux rien, mais quasi tous les chanteurs que j’aime sont estampillés “France Inter”, “Télérama” ou “les Inrocks”. Parfois même, les trois à la fois. Son deuxième album, “pas mal”, est sorti quand j’étais en terminale. Et “Les vélos d’Amsterdam” passait alors une fois par semaine sur Inter. J’ai acheté l’album, “pas mal”, comme son nom l’indique. Des chansons assez drôles, pleines de jeux de mots (”j’regarde les biches, qui m’regardent avec dédain…”). Des chansons tendres, des chansons un peu tristes. L’une d’elle qui me serre encore la gorge chaque fois que je l’écoute : “comme un vieux monsieur” : “et des mots croisés plein la tête, n’a plus de femme en quatre lettres ? Déboucher encore son parfum, sentir les souvenirs trop loin”…
L’album suivant, “mes chants”, je l’ai écouté énormément, pas vraiment pour les chansons “méchantes”, caustiques et drôles, comme “on ne nait pas contractuelle” : “.. un jour, on le devient; une femme est capable de tout quand ses enfants ont faim…”, ou “sur Jésus Christ, j’ai fait une croix”, ou encore “j’ai inventé la scie sauteuse“; mais plutôt pour deux chansons que je trouve, moi, très belles, poignantes : “Simple comme bonjour”, écrite avec Zazie : “J’aimerais beaucoup t’écrire des chansons d’amour, sans jeux de mots ni fleurs autours […] ça parait simple comme bonjour, simple comme tout. Ça parait simple comme la vie ne l’est pas, je garde ça pour moi”. La mélodie avec sa quarte ascendante et ses silences, sur ces paroles toutes simples mais plus profondes qu’elles n’en ont l’air, font de cette chanson une de celles qui me touchent, tout comme “Mademoiselle Rose”, sur les fantasmes amoureux décrits dans le style arlequin, d’une femme seule… Un “madame rêve” à la Vincent Baguian.
Son quatrième album (le troisième cité ici, puisque l’un des grands sujets de plaisanterie de Vincent Baguian, c’est son premier album qui s’est vendu à moins de 100 exemplaires…) est parut quand j’étais enceinte d’Eléa, (donc en 2007) et s’intitule “ce soir c’est moi qui fait la fille”, qui est aussi le titre de la première chanson. Première chanson très belle, sur le désir masculin… Je l’aime beaucoup, en particulier pour son accompagnement au piano, avec une petite ritournelle très entêtante, et aux cordes en pizz. (et me demandez pas pourquoi, j’aime bien entendre quelques pizz dans une chanson)
Mais LA chanson dont j’avais envie de parler aujourd’hui, présente donc sur ce quatrième album, “Je suis une tombe”. Baguian y parle de son origine arménienne : “moi je suis la tombe d’une partie du monde, j’y peux rien, je suis là, je suis l’ombre au milieu des décombres”. Il y parle surtout de son ignorance de l’histoire de sa famille :
“Comment savoir qui je suis
Sans savoir de qui je tiens ?
Je suis à moi-même étranger
En ne connaissant rien
Du nom qui est le mien”
et de son besoin de la connaître pour mettre fin à ses peurs, à ses angoisses, héritées mais non dites…
(Il faut que ma peur cesse enfin
Au fond de moi reste gravé
Que tout peut s’arrêter
Du jour au lendemain)
Sans m’être jamais vraiment intéressée à la psychogénéalogie, toutes ces émotions inscrites dans nos gênes, “héritées” des vies difficiles de nos ancêtres, ça me parle beaucoup.
Mais j’aime aussi beaucoup l’arrangement de cette chanson : quatuor à cordes, guitare utilisée un peu comme un instrument traditionnel,type balalaïka; instrument à anche double dont j’ignore le nom, sans doute un instrument arménien, et, presque imperceptible, un chœur. On ne découvre sa présence que sur le dernier couplet, quand il reste seul à accompagner la voix du chanteur, sur les paroles “je ne parle pas d’un pays, mais de toutes les Arménie, quand s’ajoute à la blessure l’insoutenable injure des morts que l’on renie.”
À l’heure où l’on reparle pour la énième fois d’une éventuelle reconnaissance du génocide arménien, cette chanson nous rappelle qu’au delà des enjeux politiques et économiques, il s’agit avant tout d’histoires individuelles, qui ont marqué ceux qui les ont vécus, mais aussi leurs enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants…
Vincent Baguian dit regretter de ne pas parler l’arménien, la langue de ses parents, qu’ils n’ont pas voulu lui transmettre; mais il chante parfois (sur scène) cette chanson en duo avec une jeune femme qui chante en arménien : Diane Minassian.
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