mes vies

blog multidirectionnel : mes vies de mère, de prof, de musicienne, de lectrice, de promeneuse, de dilettante en tout et spécialiste en rien… Et même mes vies de cuisinière, couturière et tricoteuse !

 

Il y a mille ans, au siècle dernier, j’ai vu un film. “Rouge”, de Kieślowski. (je devais avoir 16 ans, si je me fie à la date de sortie annoncée par Wikipédia ?). Je ne l’ai vu qu’une seule fois, au cinéma; jamais depuis. Il y avait une phrase, dedans, prononcée par Irène Jacob. Elle dit à son amant “Si je n’étais pas descendue, à la pause, ce soir-là, on ne se serait jamais connu.” (je cite de mémoire, donc ce n’était probablement pas exactement ça.)

C’est une phrase qui a fait écho en moi très puissamment. Comment connait-on les gens ? Comment rencontre-t-on telle personne qui prend une importance capitale dans notre vie ? Quelle part de hasard ou de destinée à ces rencontres, tantôt inévitables, tantôt improbables ?

Il y a quelques mois, on me parlait d’une jeune écrivain française, d’origine vietnamienne. Je ne sais pourquoi ni comment, ce qu’on m’en dit ce jour là attisa ma curiosité… Son parcours, sa façon de s’exprimer, sa personnalité, plus en réalité que son œuvre : je devinais que ses livres me parleraient, sans vraiment savoir pourquoi.

Et puis  je l’aurais sans doute oubliée, mais dans le supplément “lectures d’été” de Marianne et du Magazine Littéraire, elle signait un court article sur un roman de Murakami, “Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil”. Je n’avais absolument rien lu ni d’elle ni de Murakami, mais ce qu’elle en disait me donnait irrésistiblement envie de les lire tous les deux.

J’ai commencé par son premier roman à elle, publié chez Actes Sud. En fait, j’ai failli ne pas le trouver dans les rayonnages de la librairie, ne sachant pas si je devais chercher à T (comme Tran) ou à H comme Huy ?

Il s’agit d’un roman à la première personne. La narratrice, double de l’auteur, est une adolescente française d’origine vietnamienne, élève brillante, ayant parfaitement assimilé ses deux cultures. Elle rencontre “par hasard” un jeune vietnamien de son âge, arrivé en France récemment, seul avec son frère. Les points communs et les dissemblances entre ces deux jeunes gens, le mystère dont est nimbée l’existence du jeune homme, et surtout la relation ambiguë, ni vraiment fraternelle ni vraiment amoureuse qui se tisse entre les deux jeunes gens est au centre du récit.

L’écriture est très légèrement désuète, un peu précieuse; elle place l’histoire dans une sorte de brume ou de distance. On n’y trouve jamais aucun effet de style visant à traduire un langage parlé, les phrases sont plutôt longues, pas proustiennes, mais incontestablement travaillée, musicales.

Lorsque quelques semaines plus tard j’ai lu le livre de Murakami dont Minh Tran Huy dit qu’il a été une révélation, un choc lorsqu’elle l’a découvert, j’ai compris la filiation entre les deux.

Là encore, le style est très légèrement décalé par rapport à la plupart des romans français contemporains. Peut-être cela tient-il à la traduction du japonais ?

Il s’agit, comme chez Minh Tran Huy, d’une relation entre un homme et une femme. Hajime, le narrateur, rencontre Shimamoto-sans à l’école, mais leur lien est extrêmement fort, fait de musique écoutée ensemble, de sentiments forts et profonds mais jamais traduits en mots ni même en gestes.

Un déménagement sépare les deux enfants, mais tout au long de sa vie, Hajime continue d’être “habité”, comme hanté, par la présence de Shimamoto-san. On suit son parcours, amoureux et professionnel; sa vie peut sembler parfaitement accomplie lorsque, marié et père de deux enfants, il mène une carrière prospère de patron de boîtes de jazz. Pourtant, Shimamoto-san reste la “chimère manquante à sa vie”, celle qu’il croit reconnaitre et suit dans les rues, celle à qui il ne cesse de penser.

Là encore, le narrateur est confronté à de nombreuses part d’ombre et de mystère qui entourent l’existence de son amie. Là encore, la pudeur de l’expression des sentiments est contredite par la place que prend la personne aimée, même dans l’absence.

Pourquoi ces deux courts romans m’ont-ils tant parlé, tant touchée ?

Je pense que l’explication tient dans la dernière phrase du roman de Minh Tran Huy :

“Dans la vie, on croise des gens précieux, qu’on voudrait garder toujours auprès de soi, mais qui, pour des raisons qui ne tiennent ni à eux, ni à nous, sont forcés de s’en aller. (…) Il m’est arrivé de chérir profondément des êtres que j’ai perdus, et c’est peut-être pour cela qu’on écrit, pour les retrouver et cheminer l’espace d’un instant, à leurs côtés. Comme si rien n’avait changé.”

Categorie : livres
Par mes vies
Le 17 septembre 2011
A 11:04
Commentaires :
 

1 Comment for this post

 
Miss Léo Says:

Je découvre à mon tour ton blog. Ton billet me donne décidément très envie de lire le Minh Tran Huy. Et puis j’adore la collection Babel…

Je vais continuer à explorer ton univers.

A bientôt.

P.S. Rouge, très beau film ! J’avais 15 ans… ;-)

 

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